À ma moitié, à tous ceux en qui on a cru ces dernières années et à toi qui mûrit l’ambition, secrète ou non, de devenir un jour patron.
« Calife à la place du calife » … ça fait rêver n’est-ce pas ? Dans ce cas je te souhaite d’être bien accroché à tes petites illusions parce que la réalité va les démonter les unes après les autres !
Pour resituer le contexte : je suis femme de patron (pas patronne : aussi féministe que je sois, je tiens à ma place de « femme de », et pour cause…).
Imagine… un jour tu sautes le pas et… tu deviens ton propre patron…

Très vite tu devras accepter que le travail ne paie pas toujours.
Alors tu devras t’habituer aux nuits sans sommeil,
Et à ravaler ta fierté pour justifier tes impayés.
Tu devras être capable de te remettre en question,
Et accepter d’hypothéquer tout ce que tu as, jusqu’à ton foyer.
Tu devras aussi accepter de toucher le fond pour mieux rebondir,
Et réussir à vivre avec une épée de Damoclès au dessus de la tête.
Peut-être réussiras-tu à sortir la tête de l’eau avant de te noyer.
Alors tu devras te préparer au retour de bâton des charges,
Et aux débits surprises de l’administration sur ton compte.
Malgré tout, tu devras accepter de payer pour les autres,
En constituant seul ta sécu, ton chômage, et ta retraite.
Tu auras peux-être même envie, à un moment donné, d’embaucher.
Alors tu devras t’habituer à payer en priorité tes salariés,
Et te contenter des miettes (quand il y en aura).
Tu devras accepter de partager avec eux ton savoir-faire,
En sachant que tôt ou tard ils partiront avec.
Tu devras accepter que ta Société ne soit qu’un tremplin pour eux,
Tandis que l’avenir de toute ta famille en dépend.
Pour autant, tu devras renoncer à toute forme de reconnaissance de leur part,
Et t’habituer à l’insatisfaction constante et virale.
Tu devras accepter d’être seul en première ligne quand ça tournera mal,
Et endosser la responsabilité de leurs erreurs comme si c’étaient les tiennes.
Tu devras accepter que tes échecs provoquent l’indignation,
Alors que tes succès les laisseront tous indifférents.
Tu devras renoncer à leur loyauté et à leur fidélité,
Et comprendre qu’ils ne seront jamais tes amis.
Tu devras apprendre à ne pas t’attacher,
Et te préparer au départ de chacun d’eux.

C’est qui le patron ?! C’est toi le patron !
Tu devras te préparer à être envié, jalousé et détesté
Et à endosser le rôle du méchant ou, dans le meilleur des cas, du mauvais flic.
Tu devras accepter que l’on parle dans ton dos,
Et que l’on remette en question ta légitimité sur la place publique.
Tu devras apprendre à n’être qu’un patron
Que l’on clouera au pilori à la moindre occasion.
Tout ça pour quoi ?
Tout ça pour être vu comme un connard dénué d’états d’âme qui ne pense qu’à son profit personnel… ou, dans le meilleur des cas, comme un capitaliste égoïste et impitoyable.
« Calife à la place du calife » … ça te fait toujours rêver ? Et encore, ce n’est pas le pire…
Avec le temps, tu deviendras ce capitaliste égoïste et impitoyable que tu t’étais juré de ne jamais devenir… parce qu’à force de désillusions tu deviendras ce connard dénué d’états d’âme qui ne pense qu’à son profit personnel… mais qui pourrait t’en vouloir ?
